Dans la jeune histoire du chessboxing, on oublie souvent une démonstration pionnière du sport en France, en plein cœur de la Cité des ducs. A l’occasion de la séance de dédicace d’Enki Bilal pour la sortie du Tome 4 de BUG le 30 Novembre prochains aux Utopiales à Nantes, on s’est dit que ça valait le coup de raconter cette première française de notre discipline préférée.
1992, genèse de l’idée du chessboxing, dans la BD d’Enki Bilal “Froid Équateur” ; 2003, tenue du premier match en conditions réelles ; 2005, première compétition officielle… Pour une discipline souvent rangée parmi les sports à la fois novateurs et insolites, voire carrément bizarres, l’histoire du chessboxing est étonnamment riche. L’année 2006 est pourtant rarement mentionnée dans les récits collectifs, y compris sur Internet, alors qu’elle a participé largement à la diffusion du sport auprès du grand public, spécialement français.
Cette année-là donc, Les Utopiales, jeune festival de science-fiction établi depuis peu à Nantes, veut mettre à l’honneur le chessboxing pour sa septième édition. A l’époque, la discipline en est à ses premiers balbutiements. Un an plus tôt, la toute récente WCBO (World Chess Boxing Organisation) et son directeur Iepe Rubingh ont ainsi organisé à Berlin le premier championnat international.
La direction des Utopiales missionne le photo journaliste Cyril Cavalié pour promouvoir le premier combat de chessboxing en France. « J’ai proposé l’idée et piloté le projet avec un budget donné, le recrutement de chaque acteur de l’événement : un Grand Maître International pour commenter la partie d’échecs, en la personne de Jean-Luc Chabanon, un commentateur du crû pour la boxe, un arbitre, un présentateur…”, se souvient l’organisateur. Pour la partie technique, ce sera Iepe Rubingh et ses combattants qui assureront le show. Il s’agit pour Cyril Cavalié de faire venir les participants, trouver un ring, une équipe médicale, et concevoir l’exposition qui présentera les coulisses du sport aux aficionados de SF. On y trouve des planches reproduites de la BD Froid Équateur”, et des photos de Cyril prises pendant le championnat de 2005, et dans le club berlinois de Iepe Rubingh.
C’est au prix d’un bel effort collectif que 800 festivaliers et festivalières vont découvrir le chessboxing, dans l’écrin – inhabituel pour une manifestation sportive – de la Cité des congrès. « Tout le monde a mis la main à la pâte ce soir-là, Patrick Gyger lui-même, alors directeur des Utopiales, ayant humblement accepté la tâche d’assister l’un des chessboxers, en restant présent tout au long du combat au niveau de l’un des coins du ring« , se rappelle, amusé, Cyril Cavalié. Après le match, des spectateurs conquis viennent l’assaillir de questions, comme pour se persuader qu’ils ne venaient pas de rêver.
Et, dix-neuf ans plus tard, force est de constater qu’aucun autre festival littéraire n’aura rendu pareil hommage au chessboxing. Un exploit donc, qu’il faut rétrospectivement créditer à non pas un, mais deux cerveaux. En effet, sans le GMI Jean-Luc Chabanon qui l’a approché le premier, Cyril Cavalié n’aurait jamais entendu parler aussi précocement de la discipline. “Franchement, je me suis demandé quel était cet hurluberlu qui me parlait d’un nouveau sport improbable, dont le premier championnat européen allait avoir lieu le 1er octobre 2005, à Berlin […] Quelques jours après, nous partions tous les deux en bus pour Berlin, en faisant connaissance à bord… […] je ne serais jamais parti à Berlin, je n’aurais jamais rencontré Iepe Rubingh et son équipe, et je n’aurais jamais photographié le tout premier champion de chessboxing couronné par la WCBO, ni documenté l’entraînement des tous premiers chessboxers allemands, du tout premier club de chessboxing. » Une rencontre qui rappelle immanquablement celle entre l’artiste Enki Bilal et l’artiste performeur Iepe Rubingh, et qui a permis de transformer un concept fantaisiste en sport régi par des règles que doivent respecter les combattants et combattantes sur un ring.
Merci à Cyril Cavalié d’avoir partagé avec l’AHCC ses souvenirs et anecdotes de ce match fondateur dans l’Hexagone. Avec la récente exposition médiatique du chessboxing, et l’organisation de matchs devant de plus larges audiences, on se prend à rêver d’une grande fête qui réunirait les acteurs historiques et actuels de la discipline. Et où mieux qu’à Nantes, où le sport a fait ses premiers pas sur les planches, et aux Utopiales, qui aura bientôt l’occasion de souffler les vingt bougies de l’événement ?
Reportage : Ludovic Ferry et Antoine Lalos
Crédit Photos : Cyril Cavalié
